PAR PIERRE-LOUIS SARDI I 15 septembre 2023
Les 6 et 7 septembre 2023, les plongeurs des SIS 2A et 2B, l’Université de Corse et l’Office de l’Environnement de la Corse avaient rendez-vous aux lacs de Capitellu et de Melu. Une opération de suivi et de gestion durable des lacs corses, et d’analyse des protocoles de plongée en altitude.
Depuis de nombreuses années les scientifiques de l’Université de Corse et de l’Office de l’Environnement de la Corse observent à la loupe les lacs de Corse. Ils étudient l’évolution de la faune et de la flore spécifiques à ces espaces naturels, notamment depuis le réchauffement climatique. Régulièrement, les sapeurs-pompiers plongeurs sont donc sollicités pour y effectuer divers prélèvements mais aussi pour y installer des thermomètres, car le constat est clair : les lacs corses se réchauffent.
4 à 5 degrés de plus
Antoine Orsini le déplore. Hydrobiologiste à l’université de Corse, il explique « qu’au lac de Capitello, il y a 40 ans au mois d’août on relevait 17 degrés au maximum. Aujourd’hui on relève régulièrement 21 degrés. Les organismes aquatiques vivants tels que les invertébrés, les larves d’insectes comme les portes bois subissent le changement climatique. On a des modifications au niveau des espèces. Certaines apparaissent et d‘autres disparaissent. C’est ça le danger », explique Antoine Orsini.
Réaliser ces relevés, c’est affaire des plongeurs des SIS Pumonte et Cismonte. Les 6 et 7 septembre dernier, 5 « sudistes » et 5 « nordistes » ont donc plongé dans les eaux froides du Capitello, puis du Melo. Drivés par l’Universitaire Antoine Orsini, ils ont d’abord plongé au plus profond du Capitello.
« L’eau y est froide, témoigne Charles Orsini, adjudant-chef au CSP Bastia et chef d’unité plongée au secours subaquatique. Aujourd’hui, nous avons commencé à faire des prélèvements à l’endroit le plus profond, à environ 42 mètres bien que le lac mesure environ 45 mètres de profondeur. Mais nous nous sommes limités à 42 mètres car c’est trop dangereux de s’y aventurer en raison d’un phénomène d’aspiration dans la vase. A 42 mètres, l’eau du lac de Capitello est habituellement très claire, minérale, mais aujourd’hui cet exercice s’est déroulé dans une eau assez trouble depuis les récentes pluies qu’il y a eu en montagne. La vision sous l’eau parfois réduite à un mètre. Nous avons tout de même réalisé tous les prélèvements prévus, depuis le point le plus bas, jusqu’à la surface, en réalisant nos paliers de décompression.
« Ce matin la température de l’eau à 40 mètres était entre 3 et 5 degrés, reprend son homologue de Corse du sud Ange-Michel Maisani. L’adjudant-chef au CSP d’Ajaccio, conseiller technique SAL explique : « ce n’est pas commun pour nous car en mer la température est de 11 à 12 degrés en hiver, donc nous sommes ici dans un autre type de plongée, avec des équipements spéciaux pour nous acclimater et voir aussi comment nous pouvons rendre ces plongées plus confortables. Et puis on voit lorsqu’on est sur ce site qu’il est très fréquenté. Il y a des voies d’escalade juste au-dessus, nous pourrions donc être amenés à porter secours à des randonneurs, ou des escaladeurs tombés dans l’eau. Dans ce secteur, et donc dans ce lac nous saurions déjà quel matériel utiliser pour remplir notre mission. Pour les pompiers plongeurs, cette mission est donc très positive, conclu le pompier plongeur avant de se soumettre à l’examen médical du Docteur Costantino Balestra.
video sis 2a
Les bulles d’azote dans le sang
Car c’est là que cette mission revêt un nouvel intérêt scientifique. Professeur de physiologie à l’Université libre de Bruxelles et à la Haute Ecole Bruxelles-Brabant, spécialiste des milieux extrêmes, Costantino Balestra s’intéresse à tout ce qui concerne la physiologie intégrée de façon générale, et cherche à comprendre comment l’être humain réagi au milieu dans lequel il s’est soumis lui-même, ou pas. Cela concerne notamment les plongeurs, y compris ceux qui exercent en altitude, les astronautes, ou encore les personnes qui séjournent dans des stations en hivernage au pôle Nord ou Antarctique.
La médecine de la plongée est beaucoup plus complexe qu’on l’imaginait il y a 10 ou 15 ans, explique le professeur, et justement cette opportunité d’avoir ici une plongée faite en altitude, proche de 2000 mètres avec des paliers faits à l’oxygène, réalisés dans la procédure que les pompiers utilisent, ça nous intéressait pour plusieurs raisons.
D’abord pour voir si cette procédure fonctionne bien, et ensuite comment les réactions physiologiques se font ».
Une première en Europe
« C’est une première en Europe, affirme Costantino Balestra. Car sur le vieux continent, réaliser des mesures en échographie pour observer les bulles d’azote qui passent dans le cœur en altitude n’a jamais été fait chez l’humain. Seulement chez le cochon. Dans une tente qu’il a aménagée en laboratoire de campagne à proximité de la berge, pendant une heure et tous les quart-d‘heures après leur plongée les 10 plongeurs se sont donc soumis à une échographie du cœur, examen accompagné d’un prélèvement de salive et d’urine.
Quel bilan ?
« Très positif, affirme le scientifique. En tous cas, une heure après la plongée il reste très peu de bulles d’azote dans le sang, ce qui signifie que les procédures mises en place ici par les pompiers sont très sécuritaires et fonctionnent très bien ».
Les résultats de cette étude seront publiés dans la Revue française de médecine subaquatique et hyperbare d’ici 2 mois, ainsi que dans la Revue Internationale de Science Moléculaire, car les analyses de salive également réalisées permettront de quereller le stress oxydant et d’autres phénomènes physiologiques.
Un programme de gestion des lacs de montagne corses
C’est donc à plus d’un titre que ce programme revêt un intérêt scientifique. Car à l’Office de l’Environnement de la Corse, un programme de gestion des lacs de montagne corses a été mis en place depuis 2005. Le précédent datait de 1980. Le tout a donc été relancé en partenariat avec l’Université de corse, les services de l’Etat, et les SISS des deux départements.
« Alors ici, c’est d’autant plus important que nous sommes sur la réserve naturelle du massif du Monte Rotondu, explique Guenaelle Baldovini, cheffe du service biodiversité terrestre à l’Office de l’Environnement de la Corse. Cette réserve a pour vocation de protéger certains lacs de montagne comme Melo et Capitello. Aujourd’hui, poursuit-elle, nous mettons en place des sondes thermiques qui nous permettront d’avoir un suivi sur le long terme de l’évolution de la colonne d’eau sur les 9 lacs que nous observons, à savoir Cavacciole, Melu, Capitellu, Ninu, Bastiani, Vitalaca, Crenu, l’Oriente et Gialicatapianu.
A l’origine avec l’Université de Corse, nous avions travaillé à la mise en place d’une typologie cohérente au niveau scientifique sur 15 des 40 lacs présents en corse. Puis nous en avons sélectionné 9 qui sont représentatifs de l’ensemble, car suivre la totalité aurait été très compliqué.
L’objectif est d’avoir un suivi sur le long terme afin d’essayer de mieux comprendre le fonctionnement de ces écosystèmes et d’agir au mieux au niveau de la gestion »
Les lacs corses se réchauffent eux aussi
« D’ores et déjà la tendance est au réchauffement, déplore Gwenaelle Baldovini. Ce n’est pas une nouvelle, cela touche tous les écosystèmes, que ce soit sur le littoral comme en montagne, on constate de façon empirique un réchauffement des masses d’eau avec parfois des mortalités importantes de poissons, et qui restent inexpliquées. Nous allons essayer de comprendre pour mieux anticiper ces périodes de mortalité et d’évolution rapide de ces masses d’eau ».
Gérer la fréquentation
« Parallèlement il y a une gestion de la fréquentation à mettre en place, poursuit la scientifique. C’est ce que nous faisons déjà sur la réserve naturelle avec une surveillance accrue pendant l’été puisque qu’il est désormais interdit de se baigner. Car la problématique c’est la sueur, les crèmes et les huiles solaires qui engendrent une pollution du milieu et une prolifération des algues qui peuvent être néfastes pour les populations de poissons. Nous avons également un suivi des populations de cyanobactéries constatées sur tous les lacs. Un constat partagé par Antoine Orsini. Occupé à soigneusement répertorier les prélèvements réalisés à différentes profondeurs durant 2 jours, l’hydrobiologiste rappelle que l’eau de ces lacs qui a tendance à stagner supporte mal cette pollution organique. Lui aussi plaide pour une régulation de la fréquentation et milite pour des actions pédagogiques pour une prise de conscience de la fragilité de ces espaces naturels.
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